Contrairement à ce qui a été dit par les gendarmes et la préfecture, je n’ai évidemment pas sauté. L’intervention brutale de la CNAMO est la cause irréfutable de ma chute. Ils savaient qu’on était pas assuré.es dans la cabane. Ils savaient qu’en intervenant ainsi ils nous faisaient courir le risque d’une chute potentiellement mortelle.
Ce vendredi 6 septembre, je me réveille en sursaut. « Il y a la CNAMO » souffle ma camarade. Je vais pour attraper mon baudrier quand un militaire surgit dans la cabane, et hurle des ordres en essayant de nous attraper.
Par réflexe, autant que par surprise, je fais un pas en arrière, et je perds l’équilibre. Le sol se dérobe sous mes pieds et je ne trouve rien d’autre que la bâche en plastique à l’entrée de la cabane pour me rattraper.
Elle se déchire et m’accompagne sur les deux premiers mètres, mais je tombe. 7 mètres. Je tombe, vertical, mes pieds percutent le sol avant que le reste de mon corps ne s’y écrase.
Me voilà allongé par terre, assomé par la violence du choc.
Une douleur foudroyante me saisit dans le bas du dos et déjà, un gendarme se précipite sur moi pour me passer les menottes. Je crie de douleur, immobile. Un autre lui ordonne « ne lui mets pas les menottes, appelle les pompiers ! » pour qu’il relâche son étreinte insoutenable.
Une fois à l’hôpital, shooté à la morphine pour étouffer une douleur que j’estime à 9/10, un gendarme demande à prendre ma déposition sitôt la première consultation terminée. J’insiste pour qu’il daigne appeler mon avocate, dont il fait mine de ne pas trouver le numéro. Durant l’audition, il ré-interprète toutes mes déclarations que je persiste à faire modifier.
Après la scanner, alors que je m’attends à ce que la médecin vienne me voir avec les radios, elle me demande seulement si je suis capable de me lever. Je lui réponds que je n’ai pas encore essayé.
Elle me tire par le bras pour me mettre sur pied, la douleur m’envahit. Elle sort aussitôt alors que je me rallonge péniblement.
Deux gendarmes entrent alors dans la pièce : « Bonjour, il est 15h10, vous êtes placé en garde à vue ».
Situation lunaire. Je leur explique que je suis tombé d’un arbre ce matin et que je ne pense pas être en état d’aller en garde à vue aujourd’hui. Ils m’affirment que ce n’est pas l’avis du médecin. Je n’en reviens pas.
Alors que c’est l’interne, une femme racisée, qui s’occupait de moi depuis le début, j’entends un gendarme demander derrière la porte « quand est-ce qu’un vrai médecin va venir » me voir histoire qu’ils puissent m’embarquer. Le ‘titulaire’ fini par arriver et m’explique que c’est lui qui supervise mon dossier depuis ce matin et que mon état est « compatible avec la garde à vue ».
Je lui explique que j’ai encore mal et que je pense avoir besoin de me reposer à l’hôpital au moins aujourd’hui avant de passer par l’inévitable garde à vue. Il me répond que même si je souffre, mon « état n’est pas incompatible avec la garde à vue ». Quand je lui fais remarquer que je n’ai pas vu les radios, il me répond que lui non plus et m’invective : « vous êtes médecin ? ».
Il poursuit dans mon silence : « moi je ne suis pas radiologue, si mon collègue me dit qu’il n’y a pas de fracture, et s’il n’y a pas de fracture alors votre état est compatible avec la garde à vue ».
Sentant toujours la douleur persistante derrière le masque de la morphine, je demande qu’un nouvel examen médical soit fait ; il me répond qu’il ne trouvera rien de nouveau, qu’il va se contenter de recopier l’examen précédent pour me faire un certificat.
Les gendarmes demandent à ce que les termes de « compatible avec la cellule de sûreté » soit réaffirmés par écrit et en gras sur le certificat. C’est chose faite.
Arrivé au poste, je dois patienter assis, position insoutenable, pendant que le gendarme s’occupe de la paperasse. Il finit par me proposer d’aller m’allonger en cellule de sûreté devant l’expression de ma douleur. Un mal pour un bien : il faudra que je multiplie les déplacements entre son bureau et la cellule de sûreté. Que je me lève, que je me déplace, que je m’assois, tout ce qu’on m’interdit de faire depuis 5 jours à l’hôpital.
Mon avocate finit par arriver. Elle est sidérée par ma présence en ces lieux, huit heures seulement après une chute de 7 m. Elle contacte le parquet en urgence pour me faire ré-hospitaliser et me lever la garde à vue devant mon état de santé physique et mental.
Vers 21h30, soit après 6 heures de garde à vue, les gendarmes reçoivent l’ordre de m’emmener passer un nouvel examen médical, et je dois subir un nouveau trajet en voiture.
A l’hôpital, le même médecin désinvolte m’ausculte, posant les mêmes questions et répétant les mêmes gestes que le matin. Alors qu’il s’apprête à réitérer son verdict, il prend finalement la peine d’aller vérifier la radio. Une demi-heure plus tard il revient, sa condescendance s’est mue en inquiétude : « j’ai un doute… Je crois que vous avez une fracture sur la T12 ».
23h50, l’aptitude à la garde à vue est levée par le médecin et mon hospitalisation commence avec un personnel tout à fait disponible et attentionné.
J’apprends dans la nuit, vers 3h du matin, que j’aurai 6 semaines de corset, le temps que ma vertèbre se consolide, puisqu’elle est bien fracturée.
Je précise que mon hospitalisation se déroule dans les meilleures conditions depuis ce soir là.
Je regrette simplement qu’il ait fallu que je passe du statut de suspect à celui de patient pour que cela se produise.